Introduction

Version informative :

En 1991, lorsque Heïm annonce son précoma diabétique, je décide de tenter l’aventure éditoriale avec quelques collaborateurs (notamment Leborgne, Rentrop, Dugant et Déoles). Heïm, comme ses proches l’appellent, est alors pour moi un père de cœur et, à 21 ans, je me sens prêt à le décharger progressivement des soucis de la gestion quotidienne d’un pool d’édition important (nous monterons jusqu'à un titre nouveau publié chaque jour). Je crois à cet engagement au côté, et même à l’avant-scène de ce qui m'apparaît comme ma famille affinitaire (avec, à l’époque, Vanessa, Monique, Alice, Hermione, Karl et, dans une sphère plus élargie, Sally et Maddy).
Je poursuis alors des études de droit à la Sorbonne (Paris I) et m’essaye à une dualité sentimentale avec Kate après une première tentative platonique et rapidement avortée avec Aurore.
C’est dans ce contexte que je commence à rédiger un journal : j’ai besoin de garder un lien avec l’écriture, envie de laisser un témoignage sur les satisfactions et les angoisses d’un jeune gérant, sur l’évolution d’une liaison amoureuse difficile et sur ma vision souvent intolérante du monde qui m’entoure et de l’actualité qui s’impose.
Le gâchis exemplaire est avant tout celui d’une prise de responsabilité qui me mène rapidement vers le fiasco. A l’urgence du développement va succéder la priorité d’assumer la ruine des affaires.


Fin 1993-début 1994 commence la période de Purgatoire, à Paris, où mes connaissances juridiques vont me permettre de conduire la liquidation des sociétés et de plaider moult dossiers devant les tribunaux (avec une certaine réussite qui transparaît peu dans les pages du Journal).
L’écriture devient alors un véritable soutien psychothérapique allié à une vie sexuelle débridée après ma rupture avec Kate. Très atteint par cet échec, je ne donne plus de nouvelles à mes père et mère (mes pater-mater comme je les baptise dans une espèce de distance affective) pendant plusieurs mois.
Pour compenser l’isolement que je m’impose, afin d’affronter les soucis qui se multiplient, je cumule les rencontres et me tisse des relations distrayantes et parfois enrichissantes (comme mon amitié avec Madeleine Chapsal).
Ce n’est qu’au début de 1996 qu’une nouvelle histoire sentimentale durable s’amorce. Je reprends contact avec Sandre, étudiante en médecine avec laquelle j’avais brièvement correspondu en 1992. La complicité renaît sans tarder et donnera lieu à un échange épistolaire fourni qui, pour ma part, prendra le pas sur un journal délaissé.
Mes courriers avaient donc leur place dans ce Gâchis et ils prennent souvent la forme, notamment au cours des premiers mois, d’une série de réponses aux questions posées par celle que je surnomme ma Sandre. Ses interrogations sont reproduites entre crochets et insufflent la tonalité d’un dialogue à cette correspondance. Les sémioticiens pourront noter les signes de ce qui me conduira à une nouvelle rupture après un an de vie de couple dans les environs de Lyon.
Ce Journal est livré à l’état brut dans sa quasi intégralité. Il ne traduit qu’une
vision éminemment partielle et partiale. La gratuité (voire la facilité) de certains jugements pamphlétaires sur des personnages publics pourra paraître bien présomptueuse au regard du désastre personnel. Le journal ne s’encombre d’aucune circonvolution et n’opère aucun relativisme comme le permet la perspective des mémoires. L’indignation et le mécontentement sont pris sur le vif, sans souci d’atténuation. L’auto­critique n’est d’ailleurs pas absente et traduit, je crois, une volonté d’honnêteté intellectuelle, même si la subjectivité apparaît souvent outrancière.
L’évolution de l’écriture qui, durant les premières années, cède parfois à l’effet gratuit, constitue la meilleure preuve de l’utilité de ce Journal pamphlétaire qui ne se veut détenteur d’aucune vérité, mais qui restera peut-être comme le révélateur de voies sans issue.

Fontès, août 2000.

Version stylistique :
Foutre, quelle perspective ! Vingt et une charge dans le caisson : j’embrasse sans grande introspection le rutilant avenir proposé par Heïm, inspirateur d'alors.
Des pater-mater j’en ai, bien sûr, des beaux en plus : on leur donnerait sans rechigner l’Hollywood de l’âge d’or pour leur plastique. Sauf que l’esthétique des carcasses ça n’insuffle pas de facto le nécessaire familial : dualité très vite en ruptures chroniques, coups réciproques cumulés, contentieux cataclysmique. Leur ami Heïm était là pour nous accueillir, trio de frangins, au plus cruel de la crise conjugale. Les pater-mater l’avait rencontré à Tours. Jeunes épris de poésie, ils cherchaient autre chose, comme ligne d’horizon, que le monotone imposé. Un touche-à-tout à l’intelligence hors norme que ce barbu charismatique. Séduction pour l’aventure existentielle. Voilà comment nombre de vacances scolaires m’ouvraient un lieu enchanteur, château loué pour sa famille élargie : sa légitime, ses maîtresses et les enfants de chacune, conçus avec la première, recueillis pour les secondes. Mesnie alléchante par ses pastels châtelains, l’affection débordante et la profusion d’une vie aux atours inattendus.
Surviveur, ce maestro de l’existence a négligé la fragilité corporelle, au point de se laisser becqueter par la faux camardeuse : cumul de trois maladies inguérissables, dont cette saloperie de diabète.
Malgré tout, s’occuper et gagner son sou... noblement : rien de mieux que l’édition culturelle, celle grattant les fonds de terroir pour en faire surgir la monographie oubliée du lettré local, abbé ou instituteur deux fois sur trois. Voilà ce qui focalisait l’action du hobereau en sursis et de son entourage affectif... avant la saleté de précoma diabétique qui justifia le bouleversement de la donne. D’associative, un peu pépère, il fallait la transmuer en industrie culturelle cette activité.
Bac en poche et divorce libératoire - pour moi aussi ! - de mater et pater, j’ai choisi de me rapprocher de l’univers heïmien et d’entâmer des études de droit à la vénérable Sorbonne pour diminuer un peu mon trop plein poético-naïf. Entre droit des affaires pour la peau d’âne universitaire, et régionalisme éditorial pour le plaisir et les finances, le petiot misanthrope s’est éclipsé pour le vert adulte indigné, un brin intolérant. Est-ce cette trajectoire, sans faille apparente, qui m’a imposé aux yeux d’Heïm comme le plus capable de « prendre sa suite » ? Oh pas d’un coup - il reste bien vivant ! - mais comme une tête de proue sous tutelle conseillère et dans l’organigramme complexe d’une entreprise familiale...
Alors voilà ! cette écriture va tenter de choper quelques instantanés d’une quotidienneté professionnelle et sentimentale inscrite dans un monde à l’âpre actualité. Que du subjectif : détenteur d’aucune vérité, mais peut-être révélateur de voies sans issue.

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